L’enjeu de la décarbonisation pour les assureurs français : le rôle de l’investissement durable
- Par Eurydice LAKHDAR --
- le 2 avril 2024
Étudiant Master 2 Juriste des risques
Membre ANEJA et AFJE06
Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"
L’Accord de Paris, traité international sur le climat adopté en 2015 lors de la COP21 et entré en vigueur en 2016, fixe un objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Ainsi, la décarbonisation constitue un moyen important d’atteindre cet objectif. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il est nécessaire d’investir près de 4 500 Md$ par an d’ici 2030 dans les énergies propres (1). Jeffrey D. Sachs et Lisa E. Sachs expliquent que « la décarbonisation repose sur le passage rapide à une électricité décarbonée, principalement grâce au déploiement de l’énergie éolienne, solaire, hydroélectrique, géothermique et d’autres sources d’énergie primaire décarbonée » (2).
Pour eux, la décarbonisation dépend majoritairement de ses conditions de financement. Le but est que le financement soit abondant et peu coûteux afin de poursuivre la décarbonisation le plus rapidement possible. Cet objectif est essentiel à la fois pour atténuer les impacts du changement climatique, mais également pour obtenir une énergie électrique peu coûteuse. Le problème est que « les conditions de financement de l’électricité décarbonée ne sont pas encore favorables à cette transition » (3).
En effet, malgré l’intérêt croissant que suscite l’investissement durable, comme le montre l’augmentation massive des fonds axés sur ce dernier, il y a des raisons de douter que l’investissement durable ne soit pas suffisant à influencer l’économie fondamentale de la décarbonisation. C’est ce que montre, par exemple, les limites réglementaires qui sous-tendent les fonds d’investissement tels que les fonds d’assurance et qui ne permettent pas une redistribution profitable aux pays les plus défavorisés (4).
Pour autant, dans un objectif de décarbonisation, les assureurs augmentent tout leur investissement vert et réduisent leur investissement dans les hydrocarbures, comme le montre France-Assureurs (5). Les assureurs s’engagent ainsi pour accompagner les entreprises dans la transition énergétique, se mobilisent pour offrir des produits responsables aux épargnants et prennent en compte les enjeux de biodiversité dans les stratégies d’investissement, notamment en calculant une empreinte biodiversité sur leurs portefeuilles d’investissements pour les 2/3 des assureurs (6).
En France, une importante partie des investissements climatiques proviennent des institutions publiques. Cependant, les assurances françaises investissent également activement dans les obligations souveraines et jouent alors un rôle majeur dans la transition écologique, aux côtés des investisseurs publics. De manière générale, les assureurs français investissent dans des obligations de développement durable en intégrant également une dimension sociale (7).
Désormais, les assureurs cherchent de plus en plus à réduire les émissions liées à leurs investissements. Ce nouvel engagement s’inscrit directement dans l’objectif de neutralité carbone fixé par l’Accord de Paris. Ainsi, en 2019, le corps professionnel de l’assurance signe la Déclaration de la Place Financière à Paris afin d’adapter leur stratégie d’investissement à ce
nouvel objectif international. Depuis 2022, l’article 29 de la loi énergie climat oblige donc les assureurs à publier un rapport permettant de prouver que leurs portefeuilles d’investissements sont bien compatibles avec l’Accord de Paris (8).
Cet objectif a conduit les assureurs a développé diverses stratégies afin de décarboniser leurs portefeuilles. Allianz finance activement la transition énergétique et écologique en investissant dans les énergies vertes et durables, et souhaite également ne pas prioriser les exclusions systématiques, mais plutôt procéder à une politique d’engagement actionnarial. Axa préfère accélérer la sortie des industries à forte intensité carbone afin d’inciter les entreprises polluantes à réduire leur émission et donc à réduire les risques technologiques et naturels. La MACSF et la MAIF choisissent également d’encourager plutôt que d’exclure. AG2R La Mondiale adopte une démarche responsable en matière financière via l’Investissement socialement responsable (ISR) (9).
Ainsi, l’investissement durable prend désormais une place prépondérante dans le monde de l’assurance.
Dans le cadre du changement climatique et énergétique, les assureurs se placent comme acteurs majeurs et doivent se conformer aux objectifs internationaux de décarbonisation afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, comme l’exige l’Accord de Paris. Cependant, les assurances ne peuvent pas agir complètement sans l’intervention majeure des politiques publiques (10).
Lire aussi ; La directive CSRD : entre défis et opportunités pour le secteur de l’assurance
Références de l’article
1 Agence internationale de l’énergie, « Net Zero Roadmap : A global pathway to keep the 1.5°C Goal in Reach »,2023.
2 SACHS Jeffrey D. et SACHS Lisa E, « Financer la décarbonisation », RED, vol. 4, n° 1, 2022, p. 167.
3 Ibidem.
4 Ibid. p. 170.
5 France-Assureurs, « Assurance et finance durable : chiffres clés 2022 », 2022.
6 Ibidem.
7 Ibidem
8 Ibidem.
9 L’argus de l’assurance, 2018, Développement durable : comment les assureurs décarbonisent leurs portefeuilles
10 SACHS Jeffrey D. et SACHS Lisa E, op. cit., p. 171.