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Le partage du risque climatique : vers une responsabilisation des acteurs de l’agriculture à la prise en charge du risque climatique

La question de l’acculturation des agriculteurs au partage du risque climatique est au cœur des préoccupations actuelles comme en démontre l’activité législative très récente en la matière (1).


Par Lucie Tourniaire,
Étudiante en Master II Juriste d’affaires.
Membre ANEJA et AFJE06
Parution dans le cadre du cycle d’étude "Droit des assurances approfondi - L’assurance face à la décarbonation"

Le secteur de l’agriculture est particulièrement touché par le réchauffement climatique et les multiples risques qui en découlent sur l’activité agricole (risque de sécheresse, gel, grêle etc.).
Toutefois, malgré ce constat scientifique, il est étonnant de remarquer que les agriculteurs français restent très peu assurés. À ce titre, la présidente de France Assureurs, Florence Lustman, exprimait ces inquiétudes en 2022, constatant que le secteur agricole était l’un des secteurs les plus vulnérables face au risque climatique avec seulement 30% des surfaces cultivées couvertes par un contrat d’assurance multirisque climatique. Cela, malgré le versement de subventions de la politique agricole commune à hauteur de 65 % dans le secteur. Aussi, M. Frédéric Descrozaille (2) vient expliquer ce désintérêt de l’assurance des agriculteurs français, en mettant en exergue d’une part, les contraintes financières inhérentes au secteur agricole, d’autre part, le manque flagrant d’acculturation aux risques. Selon le sondage France assurance Elabe (3), les français interrogés se sentent pourtant vulnérables à 73 % face au risque climatique, et considèrent à 92 % que les assureurs devraient avoir un rôle à jouer dans la prise en charge des risques catastrophes naturelles. (4)

C’est ainsi pour pallier ce paradoxe que le secteur de l’assurance veut faire de l’acculturation aux risques une « priorité nationale ».

A donc été trouvé un système de gestion des risques reposant sur la solidarité nationale et le partage du risque climatique qui prend en considération les limites économiques de l’assurance dans la prise en charge de ces risques. La loi du 2 mars 2022 (5), a ainsi pour objectif de redéfinir et clarifier les modalités d’indemnisation dans le secteur agricole en s’inscrivant dans une démarche de transition écologique globale pour renforcer la résilience et la durabilité du secteur agricole face aux changements climatiques croissants.

En instituant un dispositif à trois niveaux pour l’indemnisation des pertes de récoltes, le législateur cherche ainsi à acculturer et responsabiliser les agriculteurs en les intégrant directement au processus de réparation. Concrètement, cette loi prévoit trois étages, les « aléas courants » seront
pris en charge par les agriculteurs, les aléas multirisques par les assurances multirisques climatiques, et l’intervention de l’État ne se fera qu’in fine face à la survenance de risques dits exceptionnels (via la solidarité nationale). Cette approche, contribue également à inciter fortement les agriculteurs à souscrire à une assurance multirisque climatique. En effet, la politique affichée est claire, dans le cas où l’État serait tenu d’indemniser (3e pilier), le montant de l’indemnisation sera de 100 % si l’assureur a souscrit préalablement à une assurance récolte, contre seulement 40 % en 2024 s’il n’est pas assuré (et cela avec un taux dégressif par année (6). Concernant le deuxième pilier, la loi instaure un système de pool d’assurance permettant une meilleure mutualité et in fine, une prime d’assurance plus intéressante pour les agriculteurs.
Également, cette loi incite fortement les agriculteurs en interne, à se pencher sur la gestion des risques hors du contrat d’assurance, en adaptant en amont leur stratégie d’entreprise. En outre, l’État s’engage à verser des aides aux investissements dans le secteur agricole, leur permettant d’acquérir des matériaux de protection plus élaborés afin de prévenir la survenance de risques climatiques. Il convient aussi de noter la mise en place du Guichet unique prévu dans la loi pour aider les agriculteurs dans leurs démarches.

Cette responsabilisation du secteur agricole s’illustre finalement dans le plan de relance de l’économie pour 2024 où la volonté affichée est celle : «  d’un accompagnement et d’une adaptation de l’agriculture et de la forêt française aux conséquences du changement climatique ». (8) (9)


Références de l’article

1) LOI n° 2022-298 du 2 mars 2022 d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en 1 agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
2)Climat, cyber, pandémie : le modèle assurantiel français mis au défi des risques systémiques
3) Les Français, la montée des risques et l’assurabilité
4) Face aux crises, les assureurs agissent pour une société plus résiliente
5) Cf supra : LOI n° 2022-298 du 2 mars 2022
6 L’assurance multirisque climatique sur récoltes
7 La réforme de l’assurance récolte
8 La Commission européenne valide le régime français d’aides aux investissements dans les exploitations agricoles, ce qui permet d’ouvrir les dispositifs annoncés et d’assurer des aides rapidement
9) Projet annuel de performances Budget général - PROGRAMME 362 Écologie 2024

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Visuel de une : illustration DR

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